Une cartographie de la recherche en design graphique
Exposition du 13 mai au 6 août 2017
le Signe - Centre national du graphisme Chaumont
Commissariat : Vivien Philizot et Malte Martin
Textes : Vivien Philizot
Conception graphique : Vivien Philizot, assisté par Michaël Mouyal et Julienne Richard
Scénographie : Philippe Riehling et Vivien Philizot
Relecture et corrections : Charlotte Bomy
Traduction : Birgitt Sørensen
Numérique : Juan Andres Gomez
Coordination : Département Collection, expositions et recherche du Signe
Si le design graphique est majoritairement entendu comme une activité « pratique », c’est-à-dire orientée vers la conception d’« objets graphiques », le cadre théorique par lequel celle-ci est susceptible de faire l’objet d’une recherche est loin de rencontrer les consensus que l’on peut observer dans le cas de disciplines plus établies. La recherche en design graphique a cependant une histoire, empruntant des voies communes avec le design dès les années 1920, si l’on compte dans ses textes fondateurs les écrits des avant-gardes, qui précèdent et annoncent les nombreux écrits produits après-guerre par des auteurs dont
le nom est associé à la théorie comme à la pratique (László Moholy-Nagy, Jan Tschichold, Paul Rand, Joseph Müller-Brockmann, etc.). L’histoire démontre que le design a très vite fonctionné sur une relation dialogique entre recherche et projet.
Dans le prolongement de ces approches historiques, les dernières décennies ont alors vu l’émergence de formes de recherche plus spécifiquement institutionnalisées dans l’espace anglophone, incarnées par des écoles (Cranbrook Academy, Royal College of Art), des revues (Emigre) ou des auteurs (Ellen Lupton, Robin Kinross, Lorraine Wild, Johanna Drucker, etc.), mais aussi aux Pays-Bas, en Suisse et en Allemagne. Ces différentes propositions ont contribué à jeter les bases d’une épistémologie de la discipline, qui s’interrogeait légitimement sur son histoire, ses enjeux, ses problématiques, ses fondamentaux.
S’il était un temps possible de regretter de ne pas trouver d’équivalent dans l’espace francophone, ces dernières années ont à leur tour vu l’émergence d’un intérêt grandissant pour la recherche, que l’on mesure à l’aune des axes et des projets développés dans les écoles d’art, du nombre croissant de thèses en préparation dans les universités, du travail de consolidation fait par le Cnap, qui en seulement deux ans, a consacré à ce sujet une journée d’étude, un colloque et un numéro entier de Graphisme en France. Les enjeux, multiples, n’ont pas échappé aux nombreux acteurs de ces différents programmes : faire de la recherche, c’est se donner l’opportunité de nourrir en retour la pratique, c’est contribuer à construire l’histoire et l’épistémologie de la discipline, en renforcer l’ancrage contextuel. C’est aussi tenter de dégager ce qui fait la spécificité de l’activité du designer, à la frontière du champ artistique et de nombreuses autres pratiques. C’est enfin se réapproprier sur un plan théorique des objets qui sont par ailleurs et depuis longtemps bien souvent interrogés par les disciplines voisines. Les sciences de l’information et de la communication et la sémiologie s’intéressent depuis les années 1960 à l’affiche. Les visual studies portent depuis les années 1980 sur l’image, envisagée au prisme de ses déterminismes socioculturels, de ses conditions de production, de diffusion et de réception. L’histoire de l’art enfin, a depuis longtemps défriché le travail des avant-gardes au XXe siècle, que le design graphique envisage bien souvent comme l’un de ses moments fondateurs.
Une discipline ne se définit pas par ses objets mais par le rapport qu’elle instaure à ses objets. Il est évident que le champ visuel, selon qu’il soit étudié par l’anthropologie visuelle, les sciences de la communication, les visual studies, ou le design graphique, ne sera pas lu ni vu de la même manière – chacune de ces disciplines portant un regard, postulant un point de vue singulier sur un ensemble d’objets qui dès lors change du tout au tout. En développant une théorie relative à ses objets, toute discipline scientifique doit nommer ce qu’elle décrit, faire certains découpages, en rejeter d’autres, tracer certaines frontières et en effacer d’autres, nécessaires dans l’établissement des relations symboliques et d’un langage pratiqué par la communauté des chercheurs.
La recherche en design graphique qui émerge depuis quelques années en France semble bien travailler à la définition d’un tel point de vue singulier sur le champ visuel. Pour en prendre la mesure, il faut reculer un peu pour tenter d’adopter un point de vue sur le point de vue, qui est aussi un point de vue sur un paysage, formé par des lieux de production de la recherche (laboratoires, écoles, universités), peuplé par des acteurs, traversé par des problématiques, elles- mêmes appuyées sur des écrits et des projets dont la sédimentation progressive peut bien concourir à donner à cette discipline son épistémologie. À quoi peut bien ressembler le paysage de la recherche en design graphique ? C’est à cette question que l’on tentera de répondre par cette exposition, qui en retour, peut elle-même se lire et se penser comme une cartographie. Il s’agira de constituer un instantané du paysage de la recherche en France, tout en ouvrant des perspectives sur les pays voisins et à l’international. Cette exposition vise à faire comprendre à un public élargi, que si le design graphique est une activité encore relativement jeune, la dimension réflexive que lui confèrent les programmes de recherche en émergence ne peut que contribuer à consolider sa place au sein de la société, en renforçant à la fois le plan pédagogique interne à la discipline, et l’image que celle-ci se donne auprès de ses publics. En dépassant une conception du design graphique comme art décoratif, les différents programmes et questions de recherche que nous abordons à l’occasion de cette exposition permettent bel et bien de réaffirmer le rôle fondamental du design graphique dans des problématiques sociales, économiques, politiques et culturelles. Que peut le design graphique pour la transmission des savoirs ? Comment transcrire et annoter la langue des signes ? Quelle place pour le design dans une économie de la transition et du souci écologique ? Comment le design graphique peut-il contribuer à repenser notre rapport à l’interaction et au numérique ? À quelles conditions peut-on imaginer faire une archéologie des éditions numériques ? Comment le design graphique peut-il organiser le passage de l’analogique
au numérique ? Ces différentes questions sont quelques exemples parmi tant d’autres, de l’articulation légitime du design avec ce que László Moholy-Nagy appelait tout simplement, la vie.